Prologue

    Vous souvenez-vous, chers visiteurs, de l'angoisse de la page  blanche, sur laquelle, élève, par superstition,  vous grattiez et abîmiez  vos plumes, comme pour faire apparaître quelques mots cachés là-dessous,  quelque   inspiration échouée sous le sable de la feuille quadrillée ?
     En y songeant, soudain, surgit du temps la face renfrognée de votre professeur de Lettres d'alors, aux pores dilatés, aux lunettes grasses, aux cheveux tirés par quatre épingles, qui attend, là, au-dessus de vous, que vous pondiez une formule qui ferait mouche...
    Un souvenir en rameutant un autre, c'est la meute des vieux démons que lâche votre mémoire : cette fois-ci, elle ne vous fait pas défaut.
    Souvenez-vous, quand, dans un silence plus que plombé, marbré, caparaçonné, la classe entière tendait l'oreille pour vous entendre révéler cette page qui demeurait inlassablement blanche, tandis que vous fixiez vaguement, échouée là, une petite île oubliée par les cartes de géographie, que vous aviez à la hâte griffonnée :  un soleil furtif, un prénom que vous aimiez bien, un ultime "j'ai pas d'idée"...
    De l'autre côté du bureau, professeur de Lettres, je me suis appliquée à toujours avoir les lunettes propres. Surtout, il fallait que ces petites îles échouées deviennent refuges : écrire à l'école est faire acte de liberté. J'ai voulu ramener au bercail la meute et les Mégères zigouilleuses d'inspiration, faire des soleils, des prénoms qu'on aime bien et des "j'ai pas d'idée" des départs pour écrire et tordre le cou à la page blanche.

Puisqu'il faut fashioniser la poésie des vieux roublards Prévert, Carême, et Renard, muse, blogons !